Afin de bien centrer le sujet de cet article, il est intéressant de situer au préalable la place de la Recherche Réelle sur différents formats de Sciences avec et pour la Société.
Sciences Citoyennes | Sciences Participatives | Recherche Participative à Impact | Recherche Participative Communautaire | |
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Format général | Contributions de citoyens non scientifiques à la collecte ou au traitement des données | Participation des non-scientifiques dans plusieurs étapes y compris les expériences | Participation de non-scientifiques à toutes les étapes d’une recherche extérieure à leurs enjeux personnels | Impliquer des individus dans la recherche sur des problématiques propres à leur communauté |
Historique | Apparu avec l’essor de la technologie et d’Internet facilitant la participation des citoyens | Evolution des sciences citoyennes vers une implication plus large des participants | Forme plus récente avec un accent sur des enjeux scientifiques variés | Origines dans les mouvements de justice sociale et les initiatives locales |
Moteur | Citoyens et scientifiques, avec une forte initiative des scientifiques | Collaboration entre scientifiques et non-scientifiques | Chercheurs, enseignants, ONG et publics variés | Communautés locales, associations et chercheurs |
Objectifs | Collecte massive de données, amélioration des connaissances scientifiques | Engagement des citoyens dans la recherche, augmentation de la transparence scientifique | Améliorer les connaissances dans des domaines stratégiques sans lien direct avec les participants | Résoudre des problèmes spécifiques à une communauté, renforcement de l’auto-détermination |
Domaines courants | Astronomie, environnement, biodiversité | Biologie, écologie, sciences sociales | Energie, environnement, développement durable | Santé publique, développement local, sociologie |
Exemples | Galaxy Zoo, eBird... | Observations de la faune locale, études sociales collaboratives | Projets sur l’impact du changement climatique, recherche médicale | Recherche-action participative sur des enjeux de santé, agriculture communautaire |
Postures épistémologiques
Les postures épistémologiques sont des approches théoriques qui déterminent la façon dont les chercheurs abordent leur recherche et interprètent les résultats. Actuellement, différentes postures épistémologiques sont utilisées dans la recherche scientifique, chaque posture ayant ses avantages et ses limitations.
Les principales postures épistémologiques actuellement mises en œuvre dans la recherche traditionnelle incluent, non exhaustivement :
- Positivisme : Cette posture épistémologique considère que la réalité peut être objectivement observée et mesurée. Cependant, elle peut négliger les aspects subjectifs et complexes de la réalité, ainsi que les interactions entre le chercheur et l’objet d’étude.
- Constructivisme social : Cette posture épistémologique met l’accent sur la construction sociale de la réalité et sur le rôle des interprétations individuelles et collectives. Cependant, elle peut être critiquée pour sa relativité excessive, accordant moins d’importance aux faits objectifs et à la recherche empirique.
- Post-modernisme : Cette posture épistémologique remet en question les grandes narrations et les vérités absolues. Cependant, son scepticisme radical peut rendre difficile la recherche de consensus et la production de connaissances fiables.
L’utilisation des postures épistémologiques en Science évolue régulièrement dans le temps, car la recherche scientifique est un domaine vaste et diversifié, et chaque chercheur peut avoir sa propre approche et ses propres préférences épistémologiques.
Cependant, il est possible d’identifier certaines postures épistémologiques qui sont moins couramment utilisées dans la recherche scientifique contemporaine. Par exemple, le relativisme épistémologique radical, qui considère que chaque point de vue est également valide et qu’il n’y a pas de vérité absolue, est généralement moins privilégié en raison de ses implications sur la validité des conclusions scientifiques.
De plus, certaines postures épistémologiques plus philosophiques, telles que le mysticisme ou l’intuitionnisme, sont généralement considérées comme incompatibles avec les principes fondamentaux de la méthode scientifique, qui repose sur l’observation, l’expérimentation et la rigueur empirique.
Toutefois, à l’heure actuelle plusieurs postures épistémologiques pourraient être particulièrement bénéfiques dans le cadre d’une recherche menée de manière participative avec des citoyens non scientifiques :
- La posture de l’empirisme : Cette posture met l’accent sur l’observation et l’expérience. En encourageant les citoyens à observer et à expérimenter par eux-mêmes, on peut enrichir la recherche en incluant différents points de vue et en recueillant des données empiriques provenant de différentes sources.
- La posture du constructivisme social : Cette posture met l’accent sur la construction sociale de la réalité et le rôle des connaissances partagées. En encourageant la participation des citoyens non scientifiques à la recherche, on peut favoriser leur prise de conscience de la manière dont les connaissances scientifiques sont construites et utilisées, et faciliter ainsi une réflexion critique sur ces connaissances.
- La posture du pragmatisme : Cette posture met l’accent sur l’application pratique des connaissances. En travaillant de manière participative avec des citoyens non scientifiques, on peut s’assurer que la recherche aborde des questions pertinentes pour la société et qu’elle aboutisse à des solutions pratiques qui répondent aux besoins des citoyens.
Il est tout à fait envisageable que le format encore jeune de la Recherche Participative donne naissance à de nouvelles postures épistémologiques que l’on ne connaît pas encore à ce jour.
Il est important de noter que toutes les postures épistémologiques ont leurs avantages et leurs limites, et qu’il est souvent bénéfique de combiner différentes approches dans le cadre d’une recherche participative. L’objectif est de créer un espace inclusif où les connaissances scientifiques et les connaissances pratiques des citoyens peuvent s’enrichir mutuellement.
Démarches scientifiques
Les démarches scientifiques sont des méthodes utilisées pour acquérir des connaissances de manière rigoureuse et systématique. Elles varient en fonction des disciplines, des questions étudiées et des approches méthodologiques. Voici les principales formes de démarches scientifiques :
- Démarche hypothético-déductive
C’est l’une des démarches les plus classiques. Elle suit les étapes suivantes :- Observation : On observe un phénomène.
- Formulation d’hypothèses : Sur la base de l’observation, une hypothèse est formulée.
- Expérimentation : L’hypothèse est testée à travers des expériences ou des études.
- Déduction : Si l’expérience confirme l’hypothèse, on en déduit une loi générale ou un principe.
- Vérification/Falsification : La loi ou la théorie peut être revue en fonction de nouvelles observations.
- Démarche inductive
Cette démarche repose sur l’accumulation d’observations qui conduit à la formulation de lois ou de théories générales :- Observation répétée : On observe un certain phénomène plusieurs fois dans des conditions variées.
- Généralisation : À partir de ces observations, on formule des lois ou des principes qui semblent s’appliquer de manière générale.
- Validation : Ces généralités sont testées dans d’autres contextes pour s’assurer de leur validité.
- Démarche expérimentale
Cette démarche consiste à manipuler des variables pour comprendre leur effet sur un phénomène donné :- Formulation d’une hypothèse : Basée sur une question de recherche.
- Planification d’une expérience : Les conditions expérimentales sont soigneusement définies, avec une variable indépendante (celle que l’on manipule) et une variable dépendante (celle que l’on mesure).
- Expérimentation : On met en place l’expérience et on collecte des données.
- Analyse et conclusion : Les résultats sont analysés pour vérifier si l’hypothèse est confirmée ou infirmée.
- Démarche descriptive
Cette démarche vise simplement à décrire un phénomène sans nécessairement chercher à en expliquer les causes :- Observation : On observe un phénomène dans son environnement naturel.
- Collecte de données : On enregistre et décrit minutieusement ce qui est observé.
- Analyse : Les données sont analysées pour identifier des tendances ou des caractéristiques récurrentes.
- Démarche historique
Utilisée principalement dans les sciences humaines, cette démarche consiste à reconstruire et analyser des événements passés :- Recherche de sources : Documents, témoignages, objets archéologiques, etc.
- Interprétation : Les sources sont analysées et interprétées pour comprendre les causes et les conséquences des événements.
- Synthèse : Les événements sont replacés dans un cadre historique plus large pour dégager des leçons ou des régularités.
- Démarche par modélisation
Cette démarche est particulièrement utilisée dans les sciences exactes et les sciences de la nature (physique, biologie, économie, etc.) :- Construction de modèles : On élabore un modèle théorique ou mathématique qui représente un phénomène complexe.
- Simulation : Le modèle est testé via des simulations pour observer son comportement.
- Révision du modèle : En fonction des résultats, le modèle est ajusté pour mieux refléter la réalité.
- Démarche comparative
Elle consiste à comparer différents cas ou phénomènes pour identifier des différences ou des similitudes :- Sélection des objets de comparaison : Différents groupes, événements ou phénomènes sont sélectionnés.
- Analyse comparative : Les éléments comparés sont étudiés pour identifier des schémas communs ou des différences significatives.
- Conclusion : Des conclusions sont tirées sur la base des similitudes ou différences observées.
Ces différentes démarches sont souvent complémentaires. En pratique, un scientifique peut utiliser plusieurs de ces méthodes dans une même étude pour répondre à des questions complexes.
Quelles recherches possibles en Recherche Citoyenne ?
La question de savoir qui pose quelles questions pour savoir quoi, dans une recherche scientifique, est cruciale, car elle influence non seulement le choix des sujets étudiés, mais aussi la manière dont les résultats sont interprétés et appliqués. Ce contexte permet de comprendre les spécificités et les potentiels offerts par trois types de recherche : la Recherche Privée, la Recherche Publique et enfin la Recherche Citoyenne. Chacune d’elles a des caractéristiques propres et offre des opportunités uniques, en fonction de qui la pilote, avec quels objectifs, et quelles questions sont posées.
La Recherche Privée
La Recherche Privée est menée par des entreprises ou des organisations non publiques dans le but de développer des produits, services ou solutions pour un marché spécifique. Elle est souvent motivée par des intérêts économiques ou des objectifs commerciaux.
- Potentiels :
- Innovation rapide : La recherche privée est souvent axée sur des résultats concrets, ce qui peut accélérer le développement de technologies ou de produits innovants. Elle bénéficie de financements conséquents et d’une organisation plus flexible, favorisant une réactivité face aux besoins du marché.
- Approche pragmatique et orientée résultats : En raison de l’importance des rendements financiers, les projets de recherche privée sont souvent très ciblés sur des questions applicables. Cela conduit à des innovations directement utiles à la société, comme des médicaments, des technologies ou des solutions environnementales.
- Partenariats public-privé : De plus en plus, des collaborations entre le secteur privé et les institutions publiques permettent de partager des ressources et des compétences. Cela favorise des synergies qui stimulent la recherche dans des domaines stratégiques.
- Limites :
- Orientation profit : La recherche privée a tendance à privilégier des sujets susceptibles de générer des profits à court ou moyen terme, au détriment de recherches fondamentales ou de domaines non lucratifs mais essentiels pour la société, comme la biodiversité ou les inégalités sociales.
- Biais potentiel : Les questions de recherche peuvent être influencées par des intérêts commerciaux. Cela peut parfois mener à des conflits d’intérêts ou à une limitation de la transparence des résultats, notamment si des découvertes sont brevetées ou protégées par des secrets industriels.
- Exclusivité des découvertes : Contrairement à la recherche publique, les résultats de la recherche privée ne sont pas toujours partagés librement, limitant leur impact global.
La Recherche Publique
La Recherche Publique est menée par des institutions financées par l’État (universités, centres de recherche publics) et vise un objectif de bien commun, plutôt que la rentabilité économique immédiate.
- Potentiels :
- Connaissance fondamentale : La recherche publique est essentielle pour le développement de la connaissance fondamentale, souvent sans application immédiate mais qui peut avoir des répercussions à long terme (ex : physique théorique, biologie fondamentale, mathématiques).
- Intérêt général : Contrairement à la recherche privée, la recherche publique est orientée vers des questions qui bénéficient à l’ensemble de la société, comme la santé publique, l’éducation ou l’environnement. Elle est moins influencée par les impératifs commerciaux, permettant une plus grande diversité dans les sujets abordés.
- Transparence et diffusion des résultats : Les résultats de la recherche publique sont généralement accessibles au public à travers des publications scientifiques ouvertes, ce qui permet à d’autres chercheurs et au grand public de bénéficier de ces avancées.
- Soutien aux projets à long terme : Les gouvernements sont capables de soutenir des projets de recherche à long terme, même s’ils ne produisent pas de résultats immédiats. Cette stabilité est cruciale pour les projets de grande envergure comme la recherche en astrophysique, en climatologie ou en médecine.
- Limites :
- Financement limité : La recherche publique dépend des budgets gouvernementaux, qui peuvent fluctuer selon les priorités politiques. Cela peut limiter la capacité de certaines disciplines à se développer pleinement.
- Lenteur des processus : Les institutions publiques peuvent être plus bureaucratiques, ce qui ralentit parfois la mise en œuvre des projets et l’exploitation des résultats.
- Manque de pragmatisme immédiat : Certaines recherches publiques peuvent être trop théoriques et manquer d’applications immédiates ou concrètes pour répondre aux besoins urgents de la société.
La Recherche Citoyenne
La Recherche Citoyenne étant une démarche participative qui engage des citoyens non professionnels dans des projets scientifiques à toutes les étapes de la recherche, y compris la question scientifique posée, ce type de recherche présente des avantages uniques :
- Potentiels :
- Diversification des questions de recherche : La Recherche Citoyenne permet d’aborder des questions qui ne sont pas toujours prioritaires pour les chercheurs professionnels ou les institutions publiques/privées. Les citoyens, impliqués directement dans la vie quotidienne, peuvent soulever des problématiques locales, sociales ou environnementales souvent négligées.
- Appropriation et démocratisation de la science : En impliquant des citoyens dans la production de la connaissance, cette démarche peut réduire l’écart entre le monde scientifique et la société civile. Elle rend la science plus accessible, renforce la transparence et peut contribuer à une plus grande confiance dans la recherche.
- Richesse des données : Les citoyens peuvent constituer une force de collecte de données très importante, en particulier dans des études nécessitant une grande couverture géographique ou temporelle. Par exemple, dans le domaine de l’environnement, des réseaux citoyens peuvent collecter des informations sur la biodiversité ou les conditions météorologiques.
- Innovation sociale : La recherche citoyenne peut favoriser des solutions pratiques et innovantes aux problèmes sociaux, car les citoyens sont directement concernés par les enjeux étudiés. Cette approche facilite l’émergence d’idées qui n’auraient peut-être pas été abordées par des chercheurs traditionnels.
- Indépendance : Contrairement à la recherche privée, la recherche citoyenne est souvent moins influencée par des intérêts financiers ou commerciaux. Cela permet de poser des questions plus libres, parfois plus critiques vis-à-vis des modèles économiques ou sociaux existants.
- Limites :
- Nécessité d’identifier et de libérer les financements et les ressources dont la Recherche Citoyenne pourrait bénéficier au même titre que la recherche privée ou publique (Appels à projets) ou de manière spécifique (Philanthropie à impact, Blended Finance, Crowdfunding, Don-Action...)
- Enjeux de garantir la rigueur scientifique et la reproductibilité des résultats par une montée en capacité des citoyens impliqués, avec les membres de la Communauté Scientifique,
- Encadrement et formation des citoyens nécessaires, avant, pendant et après les projets, pour éviter des biais dans la collecte de données.
Les potentiels offerts par la Recherche Citoyenne résident dans sa capacité à aborder des questions d’intérêt public, souvent négligées par les autres types de recherche, et à démocratiser la science en rapprochant les citoyens des processus de production de savoir. La Recherche Privée, quant à elle, apporte de l’innovation rapide et ciblée, mais avec des risques de biais économiques. La Recherche Publique vise des questions d’intérêt général et fondamental, avec un accès ouvert aux connaissances, mais souffre parfois de limitations budgétaires, bureaucratiques, voire politiques ou stratégiques.
Chacune de ces formes de recherche joue donc un rôle complémentaire dans la production de la connaissance, et une collaboration entre ces différentes sphères peut maximiser les bénéfices pour la société.
Conclusion
Le format de la Recherche Participative étant encore jeune, il est remarqué que les encadrant-e-s scientifiques et les personnes menant la facilitation des projets ont plus facilement tendance à vouloir mettre en oeuvre les projets de Recherche Participative dont ils ont la responsabilité en reprenant les postures couramment reconnues au sein des projets de Recherche scientifique traditionnelle.
Pourtant, non seulement il s’agit d’un manque à gagner important quand à la valeur ajoutée qu’apporte la Recherche Participative, de ne pas déployer au sein de la Recherche Participative les autres formats de mise en oeuvre et postures épistémologiques qu’elle permet, mais en plus la Recherche traditionnelle est elle-même en forte attente vis à vis de la Recherche Participative pour qu’elle vienne couvrir des surfaces d’actions qu’elle n’est pas en mesure de couvrir, afin d’élargir les possibilités de prises de données, de méthodes, de décloisonnement des référentiels...
Dans ce cadre, il est attendu de la part des encadrant-e-s des projets de Recherche Participative de venir explorer de nouvelles formes de conduite de recherche, de nouvelles possibilités de projets, voire de nouvelles postures épistémologiques. Dans l’attente de telles innovations de schémas, les encadrant-e-s sont encouragé-e-s à déployer au sein de la Recherche Participative les postures épistémologiques et les démarches scientifiques, qui existent mais qui ne sont pas actuellement prises en charge par la Recherche traditionnelle.